Allocution du secrétaire d’État, M. Rex Tillerson sur les États-Unis et l’Europe : renforcement des alliances occidentales

U.S. Secretary of State Rex Tillerson delivers remarks on U.S.-European Relations, at The Woodrow Wilson Center, in Washington, D.C. on November 28, 2017. [State Department Photo/ Public Domain]

Département d’État des États-Unis
Bureau du porte-parole

Le 28 novembre 2017

Extraits

Allocution du secrétaire d’État, M. Rex Tillerson sur les États-Unis et l’Europe : renforcement des alliances occidentales

 

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Bonjour et merci au Wilson Center de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

Le Wilson Center a contribué de manière importante à bien des égards à la politique publique au fil des années et il est par conséquent logique que notre discussion sur l’Europe ait lieu ici aujourd’hui, si l’on tient compte du fait que cette année marque les 100 ans de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale sous la houlette du président Wilson. Bien que nous ayons tendance à associer Wilson à la première grande initiative d’implication des États-Unis dans les affaires européennes, je pense qu’il vaut la peine de se rappeler que notre engagement envers l’Europe a été le cheval de bataille d’un de ses prédécesseurs, Théodore Roosevelt.

Lorsque Roosevelt est mort en 1919, alors que Wilson luttait pour la paix en Europe, les dirigeants européens se sont joints au peuple américain en partageant son deuil et en lui transmettant tous leurs éloges. Le Premier ministre britannique, David Lloyd George, s’est souvenu de lui comme d’un « personnage source d’inspiration bien au-delà des confins de son pays ». Un autre homme politique britannique a dit qu’il avait été « le plus grand de tous les Américains en un moment de stress ultime ». Et un sénateur français a dit qu’il avait été « l’apôtre de la cause du bien de l’autre côté de l’Atlantique ».

Le président Roosevelt était aimé en Europe du fait de ses engagements vigoureux en faveur du continent dans les années d’avant et pendant la Première Guerre mondiale. Tandis que le président Wilson adhérait de manière infaillible à une politique de neutralité, Roosevelt se sentait investi de la responsabilité de venir à la défense de l’Europe. Il a été dit qu’il avait même une fois demandé la permission au président Wilson de mener lui-même une division de l’armée de terre en Europe et qu’il avait même écrit à un officier de l’armée de terre britannique en lui disant : « si nous avions fait ce qu’il fallait après le naufrage du Lusitania, je serais aux côtés de mes quatre fils dans l’armée de terre, sur le point de servir à vos côtés en Flandre ».

Qu’est-ce qui a poussé Théodore Roosevelt à rejeter la neutralité et à s’engager ardemment en faveur de la défense de l’Europe ?

La réponse se retrouve dans ce que Roosevelt a dit au Congrès en 1904 et je cite : « Un grand peuple libre se doit à lui-même et au reste de l’humanité de ne pas sombrer dans l’incapacité d’agir face aux forces du mal. » Roosevelt savait que la défense de la liberté exige que les pays libres agissent, avec confiance en leur puissance et tout en protégeant leur souveraineté.

Roosevelt savait également que les États-Unis et l’Europe, à l’époque comme qu’aujourd’hui, sont liés par des principes communs. Nos pays vivent conformément à une vérité qui va de soi sur la base de laquelle la civilisation occidentale est bâtie : liberté, égalité et dignité humaine. Ces principes fondateurs sont protégés par le système de nos institutions dédié à l’état de droit, à la séparation des pouvoirs et à la représentativité du gouvernement.

Nos principes sont également protégés contre des menaces extérieures par nos actions, notre détermination et nos sacrifices collectifs face aux défis sécuritaires. La Première Guerre mondiale fut le premier grand test de la disposition des États-Unis à payer le prix élevé de la liberté au 20e siècle. Théodore Roosevelt n’a jamais pris part à cette guerre mais il a réellement payé ce prix élevé : son fils, Quentin, pilote de chasse, a été tué dans les airs au-dessus de la France.

Au cours des quelques dernières dizaines d’années, notre mode de vie, et par extension, les principes fondateurs de l’occident, ont été mis à l’épreuve par la menace totalitaire du nazisme, par la puissance soviétique et son idéologie communiste, par les conflits ethniques et sectaires et par des pressions politiques internes. Ensemble, les États-Unis et l’Europe sont sortis vainqueurs de ces épreuves mais nous savons que les États-Unis et l’Europe sont encore une fois mis à l’épreuve et nous le serons encore à l’avenir.

Sous le président Trump, les États-Unis maintiennent leur engagement en faveur d’une relation pérenne avec l’Europe. Nos engagements en matière de sécurité envers nos alliés européens sont immuables.

Si nous voulons pérenniser les engagements partagés en matière de sécurité qui assurent la stabilité dans la région, l’administration Trump estime qu’il est nécessaire que nos alliés soient forts, souverains, prospères et engagés en faveur de la défense des idéaux occidentaux partagés. Au cours des dix derniers mois, nous avons adopté une nouvelle politique stratégique qui renforce la sécurité européenne et américaine, à savoir, un renouvellement de l’engagement envers l’Europe au lendemain de « réinitialisation » des relations avec la Russie, un nouvel effort d’adaptation des institutions sécuritaires pour lutter contre les menaces émergentes telles que le terrorisme, les attaques cybernétiques et la prolifération nucléaire, ainsi que l’attente de la part des pays européens de l’acceptation du fait qu’ils sont plus en sécurité lorsqu’ils contribuent davantage à leur propre défense.

Du fait de ces nouvelles orientations politiques, les États-Unis et l’Europe seront mieux placés pour faire face aux défis qui menacent notre prospérité, les acteurs qui cherchent à semer le chaos et le doute dans nos lois et nos institutions, et les ennemis qui menacent notre sécurité et s’opposent à notre mode de vie.

Il s’agit d’un message que je répéterai lors de mes réunions avec les responsables de l’OTAN et de l’OSCE et dans les réunions bilatérales lors de mon voyage en Europe la semaine prochaine.

La préservation de notre liberté commence par la garantie que notre peuple puisse vivre en sûreté. À cette fin, les États-Unis accordent la plus grande importance à leurs relations sécuritaires avec leurs alliés européens, y compris l’OTAN. Les alliances n’ont aucun sens si leurs membres ne sont pas disposés à respecter leurs engagements ou capables de le faire. Plus tôt cette année, le président Trump a réaffirmé l’engagement des États-Unis en faveur de l’Article 5 du traité de l’OTAN dans la mesure où il s’agit du meilleur mécanisme de dissuasion contre les agressions dont nous disposons. Et comme l’indique l’Article 5, « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties. » Toute attaque commise par tout acteur contre un État membre de l’OTAN entraînera l’application de l’Article 5 et les États-Unis seront les premiers à respecter l’engagement pris. Nous n’oublierons jamais la rapidité avec laquelle les membres de l’OTAN se sont rassemblés à nos côtés à la suite des attentats du 11 septembre et nous ferons de même pour eux s’ils sont attaqués.

Bien que l’occident continue à rechercher une nouvelle relation productive avec la Russie post-soviétique, elle s’est jusque-là avérée hors de portée, alors que les deux tentatives de l’administration précédente de réinitialisation des relations entre la Russie, d’une part, et les États-Unis et l’Europe, de l’autre, ont été suivies par l’invasion par la Russie de ses voisins, la Géorgie en 2008 et l’Ukraine en 2014. La Russie continue se comporter de manière agressive à l’égard d’autres voisins de la région en s’immisçant dans les processus électoraux et en promouvant des idéaux non démocratiques. De concert avec nos amis d’Europe, nous reconnaissons la menace active d’une Russie récemment en résurgence.

C’est pourquoi les États-Unis renforcent leurs engagements en matière de dissuasion et de défense en Europe par le biais de l’Initiative européenne de dissuasion ou EDI. Plus tôt cette année, l’administration a soumis une demande de 4,8 milliards de dollars dans son budget pour cette initiative. Cette augmentation de 1,4 milliard de dollars par rapport à l’année précédente améliorera les capacités de dissuasion et de défense de l’armée américaine, ainsi que l’état de préparation de nos forces en Europe. Cette initiative facilite les entraînements et les exercices avec nos alliés et partenaires européens de manière à ce que nos armées soient mieux intégrées et assurent la sécurité en Europe. Et elle renforcera les capacités de notre armée de terre, de notre marine, de notre armée de l’air et de nos soldats en matière de déploiements et soutiendra les exercices conjoints de l’OTAN. Au vu des exercices militaires Zapad menés par la Russie à proximité de la frontière des États baltes en septembre, notre capacité de réaction à une attaque de concert avec nos alliés est plus importante que jamais.

Cette initiative prévoit également 150 millions de dollars pour aider l’Ukraine à renforcer ses capacités à défendre l’intégrité de son territoire. Les États-Unis reconnaissent que la guerre en Ukraine, qui fait encore des morts tous les jours, doit prendre fin. Nous avons vivement encouragé la Russie, à maintes reprises, à emprunter la voie de la paix en respectant les engagements pris dans le cadre des accords de Minsk. Toute résolution de la guerre sans une Ukraine pleinement indépendante, souveraine et territorialement entière est inacceptable. La Russie a choisi de violer la souveraineté du plus grand pays d’Europe de par sa superficie. Les États-Unis et l’Europe se soutiennent mutuellement depuis 2014 face à l’agression russe à l’aide d’une politique de sanctions coordonnée. Notre unité transatlantique doit permettre de montrer à la Russie que nous n’accepterons pas cette violation flagrante des normes internationales. Nous espérons que la Russie agira de manière à restaurer la souveraineté et l’intégrité territoriale pleines et entières de l’Ukraine et à appliquer pleinement les engagements de Minsk, nous permettant ainsi de démarrer le processus de rétablissement de relations normales. Mais je tiens à être très clair, les sanctions relatives à Minsk resteront en place tant que la Russie ne reviendra pas sur les actions qui les ont déclenchées.

Nous sommes engagés en faveur de la réussite d’une Ukraine indépendante et entière. Cependant, l’avenir de l’Ukraine dépend également de la victoire dans la lutte interne en vue de la mise en œuvre d’un large éventail de réformes des secteurs de l’économie, de la justice et du social. Nous encourageons l’Ukraine à continuer à mettre en place des institutions adaptées et dignes de confiance qui réduiront la corruption et, à terme, l’élimineront, renforceront le système judiciaire et permettront à tous les citoyens de jouir d’une prospérité économique.

La crise en Ukraine a également mis en évidence le fait que l’approvisionnement en énergie peut être utilisé comme arme politique. L’amélioration de la sécurité énergétique européenne par le biais de l’assurance d’un accès abordable, fiable, diversifié et sûr à l’approvisionnement en énergie est fondamentale pour les objectifs de sécurité nationale. Les États-Unis sont en train de libéraliser les règles qui régissent l’exportation de gaz naturel liquéfié et brut produit aux États-Unis afin d’assurer le développement d’infrastructures nécessaires telles que des terminaux d’importation et des oléoducs et gazoducs interconnectés pour promouvoir la diversité d’approvisionnement en Europe.

En juillet, le président Trump a annoncé lors du Sommet des trois mers que les États-Unis fourniront un soutien technique au projet de l’Île de Krk en Croatie. Les États-Unis continueront à soutenir les projets d’infrastructure européens, tels que les installations de réception de GNL en Pologne et le gazoduc Interconnector Grèce Bulgarie, pour faire en sorte qu’aucun pays se trouvant en dehors de l’Union de l’énergie européenne ne puisse utiliser ses ressources ou sa position sur le marché énergétique mondial pour faire pression sur d’autres pays. Nous continuons à considérer le développement de pipelines tels que Nord Stream 2 et les lignes TurkStream comme étant mal avisé, dans la mesure où ils ne font qu’accroître la dominance sur le marché d’un seul fournisseur pour l’Europe.

Les États-Unis reconnaissent la fragilité des Balkans et continueront à travailler avec leurs partenaires de l’UE dans le souci de la stabilité, de la prospérité et de la démocratie dans la région. Aux habitants des Balkans, nous disons : Mettez de côté vos animosités d’antan pour que la paix puisse durer. Vous avez la possibilité de déterminer le nouveau cap de l’histoire. Les lignées ancestrales ne doivent plus être des lignes de bataille. Les États-Unis et le monde attendent impatiemment de voir une nouvelle génération de Serbes, de Croates, d’Albanais, de Bosniaques, de Kosovars et d’autres qui pardonneront les actes du passé, même s’ils ne pourront jamais les oublier.

Notre coopération sur des questions qui dépassent les frontières de l’Europe et qui nous touchent témoigne des valeurs que les États-Unis et l’Europe partagent. Les États-Unis et les alliés européens travaillent en partenariat pour faire en sorte que Bashar al-Assad assume la responsabilité de ses actes par le biais de sanctions pour les crimes commis à l’encontre de son propre peuple. Depuis le début de la crise syrienne, l’UE et ses États membres ont engagés des fonds à hauteur de plus de 9,5 milliards d’euros en aide humanitaire, à la stabilisation et à la résilience. Ces actions se poursuivent alors que la Coalition mondiale de lutte contre Daech stabilise les zones libérées.

Alors que les dernières poches de Daech sont vaincues en Syrie et que l’attention du monde se tourne vers la résolution du conflit civil en Syrie, nos partenaires européens doivent continuer à défendre ardemment le processus de Genève mené par l’ONU dans le cadre de la Résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agira d’une base suffisante pour la reconstruction du pays et la mise en œuvre d’une solution politique qui ne laisse aucun rôle au régime Assad ou à sa famille dans le gouvernement de la Syrie.

Nos partenaires européens ont également fortement soutenu notre campagne de pression diplomatique et économique à l’encontre de la Corée du Nord. Outre le soutien enthousiaste aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, ces pays ont agi sur le plan unilatéral de manière à maximiser la pression exercée sur Pyongyang. Le Portugal a gelé toutes les relations diplomatiques avec la Corée du Nord en juillet. L’Espagne et l’Italie ont expulsé les ambassadeurs nord-coréens. La Lettonie a imposé des amendes à des banques qui avaient enfreint les sanctions. Nos alliés européens savent que la Corée du Nord représente une menace pour tous les pays responsables et exige une réaction coordonnée. Nous félicitons nos alliés pour la pression croissante exercée sur le régime de Pyongyang dans le but d’arriver à une dénucléarisation complète, permanente et vérifiable de la péninsule coréenne.

Le partenariat que les États-Unis et les pays européens ont établi est essentiel… il constitue une base essentielle pour faire face aux menaces d’aujourd’hui et de demain, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe.

Les États-Unis et l’Europe font face à de nombreux défis et menaces qui, au contraire de ce qui était le cas par le passé, sont simultanément parsemés sur un grand nombre de lignes de front géographiques et sur plusieurs domaines, qu’il s’agisse des acteurs terroristes non-étatiques, des menaces d’une nature plus conventionnelle, des menaces cybernétiques ou encore des menaces nucléaires. Dans la mesure où nous savons que nous sommes plus forts face à ces défis lorsque nous travaillons ensemble, nous chercherons à accroître la coopération des pays d’Europe, nos meilleurs partenaires. L’histoire nous montre que lorsque nous sommes unis, nous réussissons à faire face à des défis communs.

Comme je l’ai dit précédemment, l’un de ces défis est la Russie. L’Europe et les États-Unis souhaitent une normalisation des relations avec la Russie. Cependant, la Russie a montré qu’elle cherche à définir un nouvel équilibre des pouvoirs post-soviétiques au niveau mondial, où la Russie, du fait de son arsenal nucléaire, vise à imposer sa volonté aux autres par la force ou par le biais de partenariats avec des régimes qui se soucient peu de leurs propres citoyens, comme c’est le cas avec le recours continu à des armes chimiques par Bashar al-Assad contre son propre peuple.

La dissolution de l’Union soviétique a libéralisé la société russe et créé de nouveaux débouchés commerciaux qui profitent aux Russes, aux Européens et aux Américains. Mais la Russie emploie souvent, depuis la fin de la guerre froide, des tactiques malveillantes à l’encontre des États-Unis et de l’Europe pour nous éloigner les uns des autres, affaiblir notre confiance et saper nos réussites politiques et économiques. Les jeux politiques avec l’approvisionnement en énergie, le lancement d’attaques cybernétiques et de campagnes de désinformation pour nuire à la liberté des élections et le harcèlement et l’intimidation constants des diplomates ne constituent pas des comportements de nation responsable. Le fait d’attaquer un pays voisin et d’en menacer d’autres n’améliore en rien la vie des Russes ou la position de la Russie dans le monde.

Nous souhaitons que la Russie soit un voisin de l’Europe et de la communauté transatlantique au sens large qui soit constructif. Mais ce choix appartient à la Russie. La Russie peut continuer à s’isoler et à s’appauvrir en semant le désordre à l’étranger et en empiétant sur les libertés chez elle, ou alors elle peut devenir une force au service du progrès de la liberté des Russes et de la stabilité de l’Eurasie.

Suite à la récente décision du Président en ce qui concerne notre politique envers l’Iran, les États-Unis et l’Europe ont en réalité davantage de points communs que de désaccords. Le Plan d’action global conjoint n’est plus le seul objectif de la politique américaine en Iran. Nous sommes engagés à affronter l’ensemble de la menace Iranienne. Nous demandons à nos partenaires européens de se joindre à nous et de rejeter tous les comportements néfastes de l’Iran. Le régime iranien est antithétique aux principes occidentaux de par sa suppression totalitaire des libertés individuelles, politiques et religieuses. Ni les États-Unis ni l’Europe ne veulent hériter d’une menace nucléaire comme celle venant de la Corée du Nord. Nos pays ne peuvent pas non plus s’accommoder des visées hégémoniques de l’Iran au Moyen-Orient au moyen du soutien aux organisations terroristes, aux milices en Iraq et en Syrie et du développement d’un programme de missiles balistiques.

À l’intersection de cette région avec l’Europe, nous savons que la Turquie ne peut ignorer l’Iran de par sa position géographique et ses liens culturels. Mais nous demandons à la Turquie, en tant qu’alliée de l’OTAN, de prioriser la défense de ses alliés. Ni l’Iran, ni la Russie, ne peut offrir au peuple turc les avantages économiques et politiques qu’il pourrait obtenir en tant que membre des communautés occidentales.

Nous reconnaissons l’importance des contributions de nos alliés de l’OTAN en Afghanistan et nous leur demandons de poursuivre leurs efforts. L’objectif de la nouvelle stratégie des États-Unis en Asie du Sud-Est de détruire les lieux de refuge des terroristes et d’empêcher leur réinstallation pendant que le gouvernement afghan continue de renforcer ses capacités en matière de sécurité, établit les conditions d’un rapprochement avec les talibans et met en place un gouvernement représentatif de la diversité ethnique de tous les Afghans. Nous savons que cela va prendre du temps. Si nous ne sommes pas vigilants et si nous n’agissons pas pour éradiquer la menace terroriste, où qu’elle se trouve, nous risquons de recréer des refuges d’où il sera possible de préparer et exécuter un attentat similaire à celui du 11 septembre. Nous encourageons vivement une contribution proportionnelle en troupes, fonds et autres formes d’assistance afin d’éradiquer une menace terroriste qui n’a pas de frontières. La mission Resolute Support de l’OTAN est essentielle à notre objectif commun qui est de veiller à ce que l’Afghanistan contribue à la stabilité de la région et puisse faire face aux menaces terroristes d’Al-Quaïda et Daech entre autres.

Même si Daech est au bord de l’extinction en Iraq et en Syrie, la menace de Daech et de ses réseaux terroristes persistera dans notre propre pays et ailleurs. Daech est à la recherche de nouveaux points d’ancrage où qu’ils soient et en particulier dans la région du Sahel d’Afrique de l’Ouest. Nous devons agir afin que les régions comme celle du Sahel ou du Maghreb ne deviennent pas la prochaine pépinière de Daech, Al-Quaïda ou d’autres groupes terroristes. Lorsque ces groupes occupent un territoire sans être inquiétés, leurs stratégies, leurs faiseurs de bombes et leurs propagandes en ligne peuvent plus facilement encourager, préparer et mener à bien des attaques n’importe où dans le monde. Ce fut le cas de Raqqa pendant plusieurs mois. Pour venir en aide à nos partenaires africains et européens, et plus particulièrement à la France, les États-Unis ont récemment décider d’attribuer 60 millions de dollars à la force conjointe du G5 Sahel afin de l’aider dans sa lutte contre le terrorisme et contre la montée possible de Daech dans la région africaine du Sahel.

L’émergence de Daech au Sahel est une indication de plus selon laquelle les menaces à la sécurité et au bien-être de nos peuples ne cesseront de venir de nouveaux horizons inattendus. L’évolution de la nature des menaces et leur imprévisibilité sont déjà claires pour les habitants de Paris, Bruxelles, Orlando, Nice, Berlin, Istanbul, Londres, Manchester, Barcelone, New York et bien d’autres villes encore. Nos peuples ont souffert des actes de terroristes islamistes, dont la plupart ont été endoctrinés assis devant leur ordinateur, dans leur propre maison, dans leur propre pays. Et les menaces que nous affrontons sont claires aux yeux de pays comme la Turquie, la Grèce, l’Italie et l’Allemagne qui ont été confrontés à l’impact déstabilisateur des vagues de migrations irrégulières venues d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Aux moments les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill a déclaré que le peuple britannique se battrait dans les champs, sur les plages et dans les rues pour protéger son pays. De nos jours, le combat se fait de plus en plus sur Internet, aux points de contrôle des passeports et dans le cœur et l’esprit des jeunes gens d’Europe et du monde entier. Les institutions européennes de sécurité, l’OTAN y compris, doivent être adaptées afin de pouvoir répondre aux menaces internes et externes du terrorisme islamiste radical, aux cyberattaques et aux mouvements migratoires non maîtrisés. Alors que nous savons que ces menaces seront présentes dans le futur, trop de gros titres dans nos journaux ont déjà annoncé que ce sont des menaces du présent.

Les nouvelles menaces qui pèsent sur les États-Unis et l’Europe seront présentes sur le long terme et sont imprévisibles et localisées dans de nombreux endroits différents. Anticiper et combattre ces menaces de manière adéquate requiert un plus grand engagement européen au niveau de la sécurité, car une réponse locale est le moyen de dissuasion le plus efficace. Alors que les États-Unis continueront de garantir la prévention d’une défaillance catastrophique en matière de sécurité dans la région et d’accroître nos ressources afin de préserver notre bouclier de protection, les pays d’Europe doivent assumer des responsabilités supérieures quant aux défis qu’ils rencontrent en matière de sécurité. Nos alliances doivent être renforcées dans cet environnement stratégique, un manque de diligence et de responsabilité ne ferait qu’accentuer les risques.

Le président Trump a dit à Varsovie : « Nous devons nous rappeler que notre défense n’est pas seulement un engagement financier, c’est l’engagement d’une volonté. » Nos dépenses sont en quelque sorte le reflet de notre engagement en faveur de la paix et de la liberté. Nous demandons une fois de plus à nos partenaires européens qui ne l’ont pas encore fait, de contribuer à hauteur de 2 % de leur PIB au budget de la défense. Cette année, l’Albanie, la Croatie, la France, la Hongrie et la Roumanie s’y sont engagées. Ces pays savent qu’ils doivent investir dans la sécurité pour préserver la liberté. Chaque pays membre de l’OTAN avait confirmé son engagement en matière d’investissements de défense au pays de Galles. Il est temps pour chacun d’entre nous d’honorer cet engagement. Nous recommandons également vivement une intégration accrue en matière de sécurité, si ces relations sont efficientes et au service de l’intérêt commun.

Ces engagements sont nécessaires car  notre liberté et notre sécurité en dépendent. Les États-Unis et tous les pays d’Europe, tout particulièrement ceux qui ont vécu sous le poids des dictatures communistes, chérissent leur liberté d’action. Si nous ne faisons pas preuve de responsabilité, nous n’aurons pas de souveraineté. Et sans souveraineté, il n’y a pas de liberté.

La préservation de la souveraineté implique de cultiver les vertus qui l’ont rendue possible. Les pays libres doivent rester vigilants quant à la protection des sociétés civiles et des groupes, des familles et des individus qui les composent. L’État de droit et les gouvernements représentatifs ne sont que des coquilles vides lorsqu’ils ne sont pas attachés à une société civile dynamique et un respect profond pour certaines vérités évidentes. Nous pouvons gagner toutes les luttes géopolitiques mais si nous ne sommes pas constamment vigilants en ce qui concerne notre propre comportement, nos propres peuples pourraient être perdants à terme. La protection des valeurs occidentales dépend de notre volonté à défendre les vérités essentielles qui sont les bases de nos libertés politiques et économiques.

Nous savons que le peuple et les dirigeants européens dialoguent beaucoup sur leur avenir. Les États-Unis n’essayeront pas d’imposer leurs réponses à ces questions. Nous reconnaissons que l’Europe est composée de nations libres qui, dans la grande tradition de la démocratie occidentale, doivent pouvoir choisir elles-mêmes leur voie. Comme par le passé, les États-Unis sont engagés à travailler avec les organes institutionnels européens tout en reconnaissant que nos alliés sont également des nations indépendantes et démocratiques avec leur propre histoire et perspective ainsi que le droit de déterminer leur avenir.

Cette position est particulièrement pertinente au vu de la situation au Royaume-Uni découlant du Brexit. Les États-Unis maintiendront leur relation toute particulière et de longue date avec le Royaume-Uni ainsi qu’une relation forte avec l’UE, qu’elles que soient les conséquences du Brexit. Nous n’allons pas essayer d’influencer les négociations, cependant nous prions instamment l’UE et le Royaume-Uni de faire avancer ce processus rapidement, sans acrimonie inutile. Nous tendons la main de l’amitié avec impartialité aux deux parties.

Le prochain chapitre de l’histoire de l’Europe doit être écrit par l’Europe elle-même.

Comme je l’ai mentionné au début, l’année 2017 marque le centième anniversaire de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. Mais ce mois de novembre marque également les cent ans d’un autre évènement dans l’histoire du monde : le début de la Révolution russe. Bien que l’Union soviétique se soit dissolue il y a 26 ans, certains symboles et expressions associés avec les décennies de régime soviétique perdurent dans la langue anglaise : le Goulag, le plan quinquennal, le rideau de fer et le mur de Berlin. Ces quelques termes presque universellement reconnus racontent l’histoire amère et brutale du régime communiste en Europe et en Russie. Ils nous rappellent également ce qui peut se produire si nous ne parvenons pas à défendre les principes fondamentaux de la liberté et de la souveraineté selon la tradition occidentale.

À l’époque où nous vivons, des forces comme les États souverains autoritaires, les terroristes islamistes radicaux et les pirates informatiques en quête de chaos tentent d’éroder nos principes de liberté, d’égalité, de dignité humaine, d’état de droit et de gouvernement représentatif. Nous ne pouvons nous détourner de notre responsabilité souveraine en matière de protection de ces libertés. Comme l’a aussi dit Théodore Roosevelt, « Toute nation, en Amérique ou ailleurs, désireuse de garder sa liberté et son indépendance, doit finir par se rendre compte que le droit à cette indépendance ne peut être séparé de la responsabilité d’en faire bon usage. »

Conscients de cette responsabilité, les États-Unis resteront fermement engagés envers la paix, la stabilité, la prospérité et la liberté en Europe. Alors que nous réfléchissons à la pérennité de nos liens avec l’Europe au cours des 100 dernières années, les États-Unis se rangent aux côtés de leurs alliés et partenaires européens afin que nos sociétés libres existent toujours et soient aussi fortes ensemble dans 100 ans.

Merci. (Applaudissements).

Mme HARMAN : Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour ce discours que je pense digne de beaucoup des dirigeants que vous avez mentionnés : Woodrow Wilson, notre président il y a cent ans, Théodore Roosevelt, Franklin Roosevelt, Winston Churchill. Vous avez fait le lien entre différentes régions du monde et c’est pour cela que nous honorons les personnes comme vous en récompensant l’excellence en service public et en entreprise année après année.

Je vais maintenant nous centrer un peu plus sur l’Europe, étant donné que c’était votre sujet et que vous vous rendez en Europe la semaine prochaine. Bob Dickie et moi-même sommes récemment allés à l’OTAN rendre visite à notre ambassadrice extrêmement compétente, Kay Bailey Hutchison, et elle a réuni huit ambassadeurs étrangers auprès de l’OTAN pour un déjeuner. Personnellement, ce que j’ai retenu est leur perception que ceci est un jeu à somme nulle. Donc, qu’au fur et à mesure que les États-Unis se concentrent sur des problèmes urgents à travers le monde, dont vous avez cité de nombreux exemples, dont la Corée du Nord et l’Iran, ils feront moins attention à l’Europe.

Il m’a semblé que votre discours a établi qu’il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle et qu’avec une Europe forte à nos côtés, ensemble, nous serons plus forts pour faire face aux problèmes difficiles à travers le monde dont les répercussions sur l’Europe vont se faire ressentir. Ai-je raison ? Était-ce une bonne synthèse de votre message ?

SECRÉTAIRE TILLERSON : Eh bien, oui, et c’est là le message que j’apporterai la semaine prochaine. Je pense que les 100 dernières années ont prouvé — et c’est notre regard sur la situation aujourd’hui — que les États-Unis seuls ne peuvent pas faire face à toutes ces menaces. Elles sont très étendues et aussi étroitement liées. Vous pouvez choisir n’importe laquelle des menaces que j’ai mentionnées et vous trouverez des liens avec n’importe quelle autre, sous quelque forme que ce soit, qu’il s’agisse de l’implication de la Russie, de la Chine, de l’Iran ou du terrorisme islamiste. Mais nous sommes face à une époque particulièrement complexe de notre monde en matière de gestion des menaces envers notre société civile. Et nous triompherons face à ces menaces en continuant à avoir recours à nos alliés, à leur force.

Et en matière de politique étrangère et de sécurité nationale aux États-Unis, nous avons la chance, entre autres, d’avoir de nombreux alliés partout dans le monde, des alliances forgées par le sang et les sacrifices partagés, à la différence de nos adversaires dont les alliés peuvent aisément se compter sur les doigts d’une main car leurs alliances ne sont forgées ni à travers ces sacrifices partagés, ni par des idéaux communs.

Je pense donc que ce que nous reconnaissons et promouvons, c’est la force de ces alliances historiques. Je pense que depuis un certain temps, peut-être depuis la fin de la Guerre froide, nous nous sommes un peu perdus en chemin en ce qui concerne certaines de ces relations. Il y avait peut-être la perspective particulière en Europe qu’avec la fin de la guerre froide, la menace imminente à laquelle tout le monde était confrontée pendant cette période de 70 ans était en train de diminuer, et nous nous rendons compte maintenant que ce n’était pas le cas. Elle n’a pas diminué. Elle continue à se définir, à chercher son rôle à travers le nom de Russie.

Mais les menaces émanant du Moyen-Orient ont maintenant atteint les côtes mêmes de l’Europe et les frontières de nos alliés européens, par exemple à travers l’afflux des migrants, et ces migrations massives dissimulent également ceux qui viennent pour tuer et se sacrifier en même temps : nous ne pouvons faire face à ces menaces qu’avec un très fort réseau d’alliances.

Et donc, c’est vraiment… à certains égards, c’est un réengagement, mais c’est aussi une redéfinition de ce que signifie cette alliance. Et je pense que le message que le président Trump a transmis au tout début de son mandat, quand il s’est rendu en Europe – et pour lequel il a été vivement critiqué – c’était d’exiger de nos alliés qu’ils se soucient autant de leur liberté et qu’ils se soucient autant de la sécurité de leur peuple que nous nous soucions d’eux. Et quand on regarde les engagements que les États-Unis… les sacrifices que les États-Unis font, non seulement en ce qui concerne l’argent des contribuables, mais aussi nos propres hommes et femmes en uniforme, l’engagement que nous avons pris semblait être un peu déséquilibré. Et je pense que le président faisait juste passer le message que nous sommes engagés dans cette alliance. L’Europe doit être engagée – elle doit être engagée autant que nous le sommes.

Et je pense que ce que j’ai entendu dans mon… et je me suis beaucoup entretenu avec mes homologues européens… ce message a porté ses fruits. Et on le voit bien dans les engagements envers l’OTAN, les engagements à l’égard des dépenses liées à la défense, le nouvel engagement de personnel. Et c’est vraiment ce qu’il fallait en ce moment-même où nous faisons l’objet de ces menaces considérables, et où nous devons renforcer les alliances ; nous devons renforcer la capacité de l’OTAN à faire face à des menaces nouvelles et changeantes. Et c’était vraiment le but du message du président au début de sa présidence, dans la continuité duquel s’inscrit maintenant l’élaboration de ces relations plus fortes.

Nous avons davantage de travail à faire, mais je pense que notre message à l’Europe est que rien n’a changé en ce qui concerne notre engagement envers elle. Rien, depuis cette époque, il y a 100 ans, où nous avons pris cette décision d’entrer dans la Première Guerre mondiale pour venir à sa défense… rien n’a fondamentalement changé. Les mêmes valeurs qui nous lient sont toujours là.

Mme HARMAN : Merci.

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Préservons cette relation forte.

Mme HARMAN : Compte tenu du temps limité que vous avez à nous consacrer, je souhaiterais juste vous poser quelques questions sur d’autres sujets, et prendre également des questions de l’auditoire. Mais je voudrais souligner le commentaire intéressant que vous avez fait sur la Turquie, à savoir qu’elle est maintenant face à un choix : se connecter davantage à l’Europe, ce qui est un énorme avantage, et pour nous aussi, ou l’inverse. Et j’ai entendu ça haut et fort.

Je voudrais aborder la question du financement et de l’organisation du département d’État, un sujet qui en intéresse plus d’un. Chaque organisation a besoin d’un renouvellement. Le Centre Wilson a besoin d’être renouvelé. Et tout le monde ici, assurément, y compris les agents du corps diplomatique qui ont de longs états de service, pense que le département d’État a besoin d’être renouvelé. Cependant, des questions ont été soulevées au sujet des réductions abruptes de votre budget, proposées par le Bureau de la gestion et du budget – cela ne veut pas dire qu’elles seront forcément adoptées par le Congrès – ce que certains considèrent comme un affaiblissement de votre département. Plus récemment, deux amis estimés du Centre Wilson, Nick Burns et Ryan Crocker, tous deux des agents du corps diplomatique et des ambassadeurs extrêmement expérimentés, ont écrit un article dans The New York Times très bien documenté sur les personnes qui quittent le département et les implications correspondantes.

Si je comprends bien, il y a un autre son de cloche concernant cette question. Et donc, je voulais vous demander de nous faire part de votre point de vue à vous et de nous donner votre vision de ce que le département d’État devrait devenir.

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Eh bien, permettez-moi de commencer rapidement avec la question du budget, parce que c’est… je pense que c’est la plus facile… que c’est la question la plus facile à aborder. Le budget alloué au département d’État pour 2016 était un budget record : près de 55 milliards de dollars. C’est au-dessus d’un budget qui se situe traditionnellement dans la trentaine de milliards de dollars. Et cette augmentation s’est accélérée au cours des dernières années, à bien des égards, pour de bonnes raisons. Mais en regardant ce niveau de dépenses, honnêtement, ce n’est tout simplement pas viable. Il est très difficile de mettre en œuvre  un budget de 55 milliards de dollars et de le faire correctement. C’est beaucoup de dépenses et de déploiement de ressources, et je prends très au sérieux notre gestion de cette somme, tout comme je prends très au sérieux les obligations du Congrès de surveiller ces dépenses et je ne vais pas faire preuve de désinvolture à cet égard. Donc c’était en partie un rappel à la réalité : pouvons-nous vraiment continuer ainsi ? Et la vérité, c’est qu’il sera très difficile de continuer ainsi et de le faire bien.

Et d’autre part, ramener les chiffres du budget à un niveau inférieur, cela traduit en partie nos attentes selon lesquelles nous allons connaître des succès dans certaines de ces zones de conflits, qu’on allait résoudre certains de ces conflits et apporter un autre type de soutien. C’est donc une combinaison de choses – une question de viabilité sur le long terme, le fait de reconnaître que ces chiffres sont complètement aberrants. Les chiffres vers lesquels nous nous dirigeons ne sont pas aberrants ; ils collent davantage aux chiffres historiques en termes de niveaux de dépenses.

En ce qui concerne la refonte du département d’État ­– j’utilise le mot « refonte » car il aurait été très facile d’arriver un jour et de procéder à une complète « restructuration ». Le mot « restructuration », selon moi, fait référence au fait de bousculer tout l’organigramme. Quand je me suis présenté au département d’État, j’ai été stupéfait quand on m’a donné l’organigramme et que 82 bureaux relevaient directement du bureau du secrétaire, du mien… 82. Maintenant, près de 70 d’entre eux sont des envoyés spéciaux, des ambassadeurs spéciaux, des postes qui ont été créés. Nous avons donc immédiatement entrepris un examen des manières raisonnables de gérer cet endroit, et ça, ça ne l’était pas. Ayant dirigé une grande organisation mondiale – j’ai connu trois réorganisations majeures dans ma carrière et c’est quelque chose que j’apprécie vraiment – c’est toujours axé sur la façon dont nous aidons les gens à être plus efficaces, sur la manière d’éliminer les obstacles qui se trouvent sur leur chemin.

Nous avons donc adopté une approche différente, et comme je ne connaissais pas bien le département ni sa culture, nous nous sommes livrés à un exercice d’écoute phénoménal. Nous avons reçu 35 000 réponses et nous avons conduit plus de 300 entretiens en tête-à-tête, et aujourd’hui encore, nous continuons ce dialogue actif avec les gens sur ce que c’est de… s’il y a une chose que je puisse faire pour vous rendre plus efficace et pour vous rendre… rendre votre travail plus satisfaisant, qu’est-ce que ce serait ? Et nous avons reçu des centaines d’idées. Nous en avons sélectionnées environ 170 que nous peaufinons maintenant.

La raison pour laquelle nous appelons cela une refonte, c’est parce que la plupart de ces questions ont trait aux processus internes et aux processus de travail avec les organismes interagences que nous devrions être en mesure d’améliorer pour que les gens puissent s’acquitter de leur travail. Cela est en partie lié aux outils et aux moyens, donc des choses comme… nous avons un système informatique vraiment archaïque. J’ai été choqué quand je suis descendu passer un après-midi avec le bureau A, et je leur ai dit : « Dites-moi en quoi je peux vous aider. » Et ils m’ont dit : « Aidez-nous à être connectés au Cloud. » Je les ai regardés, et j’ai dit : « Que voulez‑vous dire ? On n’est pas connecté au Cloud ? » Ce à quoi ils m’ont répondu : « Non, non. On est encore sur ces serveurs-là. » Alors bon, pour commencer, c’est déjà un gros risque cybernétique. Mais c’était vraiment très fastidieux pour les gens, et quand j’ai commencé à utiliser mon propre ordinateur, j’ai commencé à réaliser à quel point c’était fastidieux.

Donc, beaucoup de projets qui ont été identifiés à partir de la refonte sont des remaniements de processus et une certaine manière de donner aux gens les moyens dont ils ont besoin, et tout est fait pour que les gens du département d’État puissent faire leur travail de manière plus efficace et plus performante et qu’ils aient une carrière beaucoup plus satisfaisante. Beaucoup de manières de procéder dans les ressources humaines n’ont pas été mises à jour par le passé et doivent être mises à jour. Comment pouvons-nous affecter les gens ici ou là – des sommes d’argent considérables sont investies dans les personnes que nous avons affectées à des missions à l’étranger, et j’ai été stupéfait de découvrir que pour de nombreuses missions, il s’agissait d’affectations d’une durée d’un an. Alors on investit tout cet argent ; on les envoie en mission. Ils sont là pour un an, et au moment où ils commencent à comprendre de quoi il en retourne et à avoir un impact, on les retire et on les envoie ailleurs. Eh bien, beaucoup de gens m’ont dit : « J’aimerais vraiment rester une autre année et commencer à avoir un impact. » C’est donc un tas de choses comme ça qui sont ressorties de l’exercice d’écoute.

Donc, les… on a donc cinq grandes équipes. Toutes ont à leur tête nos employés. J’ai fait venir des consultants pour nous aider à faciliter les choses, mais la refonte est entièrement dirigée par les employés du département d’État.

Quant à la question de l’érosion… je pense que chacun a pleinement conscience du fait qu’à chaque changement de gouvernement, beaucoup de hauts responsables du corps diplomatique et d’autres entités décident de partir et de faire autre chose. On a eu un… notre nombre de départs à la retraite est presque exactement ce qu’il était en 2016 à cette même date. On a exactement le même nombre d’agents dans le corps diplomatique aujourd’hui ­– on en a perdu 10 – qu’on avait à cette même date en 2016. Il y a un gel de l’embauche que j’ai maintenu, parce que nous sommes en train de procéder à la refonte de l’organisation et que certaines personnes vont très probablement devoir être réaffectées ailleurs. Je ne veux pas de licenciement ; je ne veux pas avoir à licencier tout un tas de gens. J’ai donc dit : « Gérons certains de nos effectifs du personnel bien spécifiques avec juste une attrition normale. »

Cela dit, j’ai signé plus de 2 300 exceptions d’embauche, parce que j’ai dit que pour chaque poste, si un poste était critique et qu’il avait vraiment besoin d’être pourvu, il suffisait de m’en envoyer la demande. Et je pense que sur les 2 300 demandes de postes que j’ai reçues, je crois en avoir refusé huit, estimant qu’ils n’étaient pas vraiment nécessaires. On garde donc l’organisation au complet. On a eu… on dirige toujours notre école des officiers du corps diplomatique ; on a employé plus de 300 personnes cette année. Donc, non, il n’y a pas d’érosion. Ces nombres avancés par certains sont simplement faux ; ils sont incorrects.

Il y a eu une rumeur concernant une réduction de 60 % des diplomates de carrière. Le poste de diplomate de carrière a été créé par le Congrès en 1955 pour reconnaître quelques élites. Le nombre de diplomates de carrière au département d’État a varié de un à sept selon les périodes. Quand j’ai repris le département d’État, nous en avions six. Quatre d’entre eux sont partis à la retraite. Il s’agissait des plus anciens… ils étaient… ils ont atteint l’âge de 65 ans, ont pris leur retraite, et sont passés à autre chose. On a un processus d’examen… on est très sélectifs pour les remplacer, mais on a actuellement un processus d’examen en cours et on évalue une poignée de personnes qui pourraient être dignes de cette désignation. Mais deux sont encore en poste. Mais nous sommes passés de six à deux ; ce qui était bien une réduction de 60 %. On aurait dit que le ciel nous était tombé sur la tête.

Une autre chose que j’aimerais dire à ce sujet, c’est que même si le processus de confirmation a été terriblement lent pour beaucoup de nos nominés, j’ai été extrêmement fier de nos secrétaires adjoints par intérim et des gens qui ont assumé le rôle de secrétaire adjoint. Et quand je… quand je lis ces articles concernant l’érosion du département, je me sens offusqué en leur nom, car les gens qui occupent ces postes actuellement accomplissent un travail extraordinaire, et ils savent qu’ils n’obtiendront pas le poste de façon permanente. Ils savent déjà que nous avons un candidat, mais ils viennent chaque jour, ils travaillent dur, ils voyagent avec moi dans le monde entier, et c’est… c’est ce groupe de personnes qui m’a aidé à mettre en place et qui a aidé le président à mettre en place la stratégie nord-coréenne avec les sanctions internationales ; une approche syrienne du processus de paix qui, selon nous, semble être sur la bonne voie ; une approche de la négociation avec la Russie concernant l’Ukraine ; une approche de la campagne de lutte contre Daech ; la politique sur l’Iran, la politique sur l’Asie du Sud en Afghanistan, notre nouvelle position envers le Pakistan ; une région indo-pacifique libre… libre et ouverte – tout cela a été fait avec les gens qui y travaillent aujourd’hui, et j’en suis très fier. Je suis très fier de ce qu’ils ont fait. Ils travaillent dur et je suis offensé en leur nom. Je suis offensé en leur nom lorsque les gens disent que nous n’avons pas de département d’État qui fonctionne.

Mais je peux vous dire que ça fonctionne très bien de mon point de vue. Avons-nous envie d’en faire davantage ? Oui, nous avons envie d’en faire davantage. Et mon seul objectif dans l’organisation est d’aider ces gens qui sont… qui ont fait ce choix de carrière… parce que je ne suis que de passage, et qu’il y aura d’autres politiques qui ne feront que passer, eux aussi… que puis-je faire pour les aider ? Parce qu’ils ont voulu consacrer leur vie à faire cela et qu’ils devraient pouvoir le faire avec efficacité et efficience, sans trop de frustration ni d’obstacles. Et si je peux leur éviter cela, c’est ce que j’aimerais pouvoir faire.

Mme HARMAN : Permettez-moi de vous dire, ce message sera repris partout dans le monde. Beaucoup de gens souhaitaient entendre cela. Je sais qu’il ne nous reste que très peu de temps. J’aimerais regrouper brièvement trois questions de l’auditoire en une seule. Molly Cole, qui travaille pour le représentant Gerry Connolly, et qui, j’en suis sûre, devait être l’une de nos vedettes dans nos programmes de politique étrangère, pose la question suivante : « Pensez-vous que le soutien à la démocratie et aux droits de l’homme à l’étranger est une mission importante du département d’État ? » Voilà pour la première question.

Matt Rojansky, qui dirige notre Kennan Institute – George Kennan a été un étudiant ici-même par le passé – pose la question suivante : « Dans quel domaine pensez-vous que des progrès avec la Russie soient possibles ? »

Et enfin, Mike Sfraga, que vous avez rencontré, et qui dirige notre Polar Initiative, pose la question suivante : « À la lumière de l’intérêt et de l’activité accrus dans l’Arctique, est-ce que l’Arctique et l’Alaska revêtent une importance stratégique pour les États-Unis et ses alliés européens de l’Arctique ? »

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Eh bien, en ce qui concerne les droits de l’homme et la dignité humaine, bien sûr, ce sont des priorités. Ce que j’ai dit à propos de ces éléments de notre politique étrangère, c’est que ce sont là nos valeurs, et que ce sont là des valeurs qui perdurent et qui ne changeront jamais. Maintenant, quand on construit des politiques et des stratégies et des approches en politique étrangère, on doit établir des priorités et on ne peut pas ne pas accorder la priorité aux droits de l’homme. C’est quelque chose que l’on porte en soi, quelque chose qui fait partie de toutes les décisions politiques qu’on prend. La question est de savoir comment avoir un impact là-dessus. Et si on fait – si on dit que bon, c’est une priorité, les priorités peuvent changer. Eh bien, cela ne peut jamais changer. Cela est durable et cela fait partie de toutes les politiques étrangères que nous élaborons.

Ce que je dirais, c’est… mais si on a affaire à un endroit comme la Syrie ou l’Iraq sous l’occupation de Daech, la chose la plus importante était de sauver des vies. Comment pouvons‑nous empêcher les gens de se faire tuer ? Parce que le droit de l’homme ultime est le droit à la vie. Le droit à la vie avant tout autre. Si j’ai le droit d’être en vie, alors je peux commencer à prendre soin de ma famille, alors je peux commencer à me battre pour mes droits en tant qu’être humain, alors je peux commencer à me battre pour mon… mais si je me fais tuer tous les jours, si je me fais bombarder, si je me fais gazer – notre priorité était de sauver des vies. On veut donc sauver des vies d’abord, et une fois cet objectif atteint, on stabilise les zones et on peut ensuite commencer à créer les conditions pour que les droits de l’homme et la dignité des personnes soient respectés.

En ce qui concerne la Russie, il existe des domaines de coopération mutuelle. Nous travaillons dur en Syrie pour vaincre Daech et nous sommes sur le point de vaincre Daech une fois pour toutes en Syrie. Nous avons encore du travail à faire. Nous travaillons avec la Russie pour empêcher que la guerre civile n’éclate à nouveau, et nous avons eu beaucoup de discussions sur la manière dont la Russie concevait la Syrie en fin de compte, et sur notre conception de ce à quoi elle devrait ressembler au final, et nous avons beaucoup de points communs à ce sujet.

Tactiquement parlant, comment peut-on arriver à ces pourparlers de paix ? On travaille très étroitement les uns avec les autres sur le sujet ; on a nos hauts et nos bas. Si vous avez vu… je pense qu’une déclaration conjointe très importante du président Trump et du président Poutine a été publiée, à Da Nang, au Vietnam, en marge de la réunion de l’APEC. C’était un alignement important sur la manière dont nous envisageons l’avenir du processus de paix en Syrie, et il était important que la Russie confirme qu’elle envisageait les choses de la même manière que nous. On va utiliser cela et en tenir compte.

Je pense qu’il existe d’autres domaines de lutte contre le terrorisme. La Russie redoute fortement une migration en provenance de la région d’Asie centrale et le terrorisme à l’intérieur de ses frontières. Nous pensons qu’il existe des domaines de coopération plus importante en matière de lutte contre le terrorisme avec la Russie. Il pourrait y avoir des possibilités de coopération en Afghanistan. Nous ne sommes pas encore arrivés à des conclusions là-dessus, mais c’est en cours de discussion.

En Ukraine, ce que j’ai dit à la Russie, c’est que nous ne retrouverons pas de relations normales tant que la question de l’Ukraine ne sera pas résolue. On est là face à un obstacle durable, et nous devons y remédier. Donc, comme vous le savez, j’ai nommé un représentant spécial, un ancien ambassadeur de l’OTAN, M. Kurt Volker, pour travailler avec son homologue russe nommé par Poutine pour voir si nous pouvons trouver une solution… sans marginaliser le processus de Normandie, mais en travaillant dans son cadre pour voir si nous pouvons briser l’impasse. Nous avons eu des discussions très importantes. Nous envisageons la possibilité d’une force de maintien de la paix en Ukraine pour arrêter que ne soient… tous les jours, des gens sont tués, des civils sont tués. Nous voulons d’abord mettre un terme à cela et sauver des vies, et ensuite commencer à travailler sur le processus.

Il y a donc beaucoup de domaines de coopération avec la Russie, et beaucoup d’autres sur lesquels elle aimerait travailler avec nous. Nous pensons tout simplement que ce n’est pas le moment.

Maintenant, en ce qui concerne l’Arctique, l’Arctique est en train de… c’est important aujourd’hui. Cela va devenir de plus en plus important à l’avenir, surtout depuis que ces cours d’eau se sont ouverts. Ce que je peux vous dire, c’est que les États-Unis sont à la traîne. Nous sommes derrière toutes les autres nations de l’Arctique. Elles sont… elles ont pris les choses à bras le corps. Elles ont pris une longueur d’avance sur nous. La Russie en a fait une priorité stratégique. Même la Chine construit des pétroliers brise-glace. Maintenant, pourquoi construit-elle des brise-glaces ? Ce n’est pas une nation arctique. Parce qu’elle a conscience de la valeur de ces passages. Nous sommes donc en retard dans la partie. Je pense que nous avons un brise-glace fonctionnel aujourd’hui. Les garde-côtes en sont très fiers – (rires) – aussi minable soit-il.

Mme HARMAN : Oui, oui.

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Et je sais que dans le budget – il y a les sommes nécessaires dans le budget pour que nous…

Mme HARMAN : Pour un de plus.

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : … pour en faire… pour construire un autre brise-glace. Mais à cause de l’ouverture des voies de communication dans l’Arctique, toute la région arctique, d’un point de vue économique et commercial, mais certainement du point de vue de la sécurité nationale, est d’une importance capitale pour nos intérêts. Notre engagement à travers le Conseil de l’Arctique et d’autres mécanismes est important pour travailler avec les pays arctiques sur les normes internationales, sur ce que seront les règles du jeu, car ce sont des domaines qui n’ont pas été abordés dans le passé, c’est donc très important.

Mme HARMAN : Bon, il ne nous reste plus de temps. J’allais vous demander quelle trace vous souhaitiez laisser, mais en vous écoutant, je ne sais pas si êtes encore en mesure de répondre à cette question pour l’instant. Vous couvrez les quatre coins du monde, vous êtes concentré sur les questions difficiles. Vous vous rendez en Europe la semaine prochaine. Vous allez devoir revenir et répondre à toutes les autres questions que nous n’avons pas pu vous poser aujourd’hui. (Rires.) Ça veut dire oui ?

LE SECRÉTAIRE TILLERSON : Oui, je reviendrai. (Rires.)

Mme HARMAN : Merci, M. le secrétaire. (Applaudissements.)

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Nous vous proposons cette traduction à titre gracieux. Seul le texte original en anglais fait foi. https://www.state.gov/secretary/remarks/2017/11/276002.htm