Déposition de Thomas Perriello : « La région des Grands Lacs d’Afrique : un défi sécuritaire, politique et humanitaire

Commission des affaires étrangères,
Chambre des représentants,
Washington, D.C.,
Le 22 octobre 2015

Comme l’a souligné la sous-secrétaire d’État [aux Affaires africaines Linda Thomas-Greenfield], la région des Grands Lacs a été confrontée à un déchaînement de tumultes, mais au cours des deux ou trois dernières décennies, elle a bénéficié d’un soutien bipartite au Capitole qui n’est pas passé inaperçu des populations de cette zone. Même dans le climat politique actuel, nous constatons et apprécions vivement le large soutien apporté à notre engagement, nos programmes et nos ambassades dans la région.

Après des décennies d’instabilité aux conséquences humaines dévastatrices, les deux prochaines années seront absolument déterminantes pour l’avenir des Grands Lacs. Si par le passé l’histoire des Grands Lacs a été marquée par de violents conflits, nous avons observé des avancées significatives vers la paix et la stabilité dans la région. Tandis que nous continuons à traiter la question des groupes armés, notamment dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), nous concentrons à l’heure actuelle toute notre attention sur des défis sous-jacents liés à cette question : l’établissement de puissants organes de gouvernance et la mise en valeur du pouvoir des voix démocratiques afin de s’assurer que les populations de la région ont les moyens de déterminer l’avenir de leur pays.

À cet égard, nous déployons d’intenses efforts diplomatiques pour soutenir les prochaines élections en République du Congo, en République démocratique du Congo, au Rwanda et en Ouganda, de même que nous traitons les conséquences violentes et déstabilisantes de la récente décision du Burundi de procéder à ce que l’Union africaine (UA) appelle « des élections non consensuelles et non ouvertes ». Les préparatifs de ces élections – notamment en ce qui concerne les décisions des dirigeants de respecter les limitations de mandat constitutionnelles et les décisions des gouvernements de protéger l’ouverture de l’espace démocratique, même pour des dissensions pacifiques – seront prépondérants pour savoir si la région récoltera les fruits de deux décennies d’investissement dans la paix, la démocratie et le développement ou si elle troquera ces gains âprement disputés contre la consolidation du pouvoir. C’est pour cette raison que je consacrerai ma déposition [aujourd’hui] à ces prochaines élections, à nos efforts pour les soutenir et aux efforts de plus de 125 millions de citoyens résidant dans la région qui exigent d’avoir voix au chapitre afin de façonner un avenir plus prometteur pour leur pays.

Nous savons ce qui pourrait se produire dans les Grands Lacs si ces prochaines élections étaient perçues comme étant inéquitables, si les dirigeants faisaient tout leur possible pour s’accrocher au pouvoir et si les voix des citoyens étaient réduites au silence. Malheureusement, la crise actuelle au Burundi montre très clairement quels seraient les coûts humains si les dirigeants de la région tentaient de changer les règles pour rester au pouvoir. La triste situation à laquelle doit faire face le président Nkurunziza doit servir de leçon et non de modèle aux autres dirigeants de cette zone. Si la même situation venait à se produire en RDC l’année prochaine, les coûts en termes de vies humaines, de bien-être économique et de stabilité régionale seraient bien plus importants. C’est d’abord et avant tout la responsabilité de ces gouvernements et de leurs citoyens d’agir comme il se doit – pour les présidents de respecter les limitations de mandats constitutionnelles, pour les forces de sécurité de respecter l’État de droit et les libertés démocratiques, et pour les citoyens d’exercer leurs droits pacifiquement. Mais c’est aussi notre responsabilité de les soutenir et de contribuer à s’assurer que cette période clé de l’histoire des Grands Lacs annonce un nouveau chapitre de paix et de prospérité commune, et non les suites de l’instabilité et des échecs du passé. Les populations de la région – avec le soutien bipartite des États-Unis – ont trop investi pour ne pas voir les Grands Lacs sortir de cette période de transition prometteuse, mais aussi décourageante.

[…]

Conclusions à l’échelle régionale

Les trois cas que nous venons d’étudier [Burundi, RDC, Rwanda] appellent un certain nombre de remarques. La première, peut-être la plus importante eu égard à la politique américaine, est que les États de la région observent très attentivement le cours des événements au Burundi, comme ils vont suivre celui des événements en République du Congo et en RDC. Ils observent non seulement les mesures adoptées par d’autres gouvernements, mais les conséquences qui en découlent. Dans un Burundi au bord du gouffre, le fait que Pierre Nkurunziza ait jusqu’à présent réussi à rester au pouvoir ne doit fournir aucun réconfort à ceux qui envisagent de suivre ses traces. La crise burundaise montre que ce choix politique entraîne entre autres un effondrement de l’économie, une insécurité généralisée, des répercussions humanitaires désastreuses, des sanctions économiques ciblées et un isolement vis-à-vis des partenaires traditionnels.

Ce qui nous amène à la deuxième remarque, la nécessité de retombées pour les gouvernements qui nuisent délibérément à leur pays afin de rester au pouvoir. Un seul individu ne peut se permettre d’envoyer sur le chemin de l’exil 200 000 de ses compatriotes et de générer une situation conduisant à des centaines de pertes en vies humaines sans en subir les conséquences. La décision de l’UE d’imposer des sanctions, peut-être suivie par l’UA, ainsi que la décision des bailleurs de fonds de suspendre toute assistance sont importantes à cet égard.

La troisième remarque est que l’engagement à haut niveau des États-Unis sera déterminant entre aujourd’hui et 2017. La région surveille notre réaction face aux événements qui se déroulent sur place. L’allocution du président Obama devant l’UA a été largement diffusée dans la région et applaudie par les populations, à défaut de l’être systématiquement par les dirigeants, dans toute l’Afrique. Cette politique est bien fondée sur l’expérience, les constitutions et le soutien local, et nous croyons que le leadership américain doit jouer un rôle crucial en cette période historique.

La quatrième remarque est que nous devons poursuivre notre étroite collaboration avec l’UA et les partenaires bailleurs de fonds afin d’optimiser notre pression diplomatique et d’assurer la clarté du message. La coordination active et l’engagement de l’équipe internationale d’émissaires et du Groupe de contact international sur les Grands Lacs sont essentiels à cet égard. Je suis impressionné par le niveau de coordination au sein de ces groupes au quotidien et je crois que notre propre engagement progresse et est favorisé par cette coordination.

La cinquième remarque, déjà largement connue, est que partout dans la région des Grands Lacs, des citoyens courageux prennent chaque jour d’immenses risques personnels pour défendre les libertés fondamentales et la perspective d’un lendemain pacifique, prospère et démocratique. Des héros tels que Pierre Claver Mbonimpa et d’innombrables autres défendent au prix de terribles risques personnels la liberté et un avenir que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquis. L’avenir de la région est façonné par ces leaders, mais notre politique peut renforcer et protéger leurs actions.

Malgré les signes inquiétants qui se font jour dans toute la région, chaque pays dispose encore de temps pour se forger une perspective positive. Même au Burundi, il existe un étroit créneau permettant d’opter pour un dialogue ouvert à tous, immédiat et soumis à la médiation régionale afin d’établir une voie d’avenir consensuelle et pacifique pour le pays. La RDC peut encore organiser dans les délais des élections crédibles et historiques qui la mettront en position de concrétiser son brillant potentiel de prospérité. Enfin, l’histoire du Rwanda peut encore évoluer vers un modèle de forte croissance économique et de démocratisation si le gouvernement s’attelle dès aujourd’hui à la passation du pouvoir exécutif pour 2017 et s’engage à protéger les droits de l’homme et les libertés civiques. Mais le temps est un facteur essentiel, tout comme la fermeté du leadership américain et le soutien continu des deux partis au Congrès envers notre partenariat avec les populations de la région des Grands Lacs.