
Je vous remercie infiniment pour votre invitation à participer à la commémoration d’aujourd’hui.
Ce village, niché dans un coin tranquille des Ardennes, n’est pas ce que l’on pourrait imaginer. Il n’est pas isolé. Il n’est pas oublié. Il n’est pas non plus si éloigné de mon pays natal, les Etats-Unis d’Amérique.
Nous sommes réunis ici afin de rendre hommage à l’immense palette de ce qui est bon et grand dans la nature humaine : l’honneur, la ténacité, l’intégrité et le courage; et pour reconnaître que ces qualités ne sont pas simplement innées, mais qu’elles doivent être méritées et ensuite célébrées génération après génération. C’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui.
Fin 1943, dans la noirceur de décembre, au coeur d’une guerre mondiale brutale et gigantesque, un bombardier B-17 tomba du ciel, en flammes. L’équipage du “Ciel Peut Attendre” – le nom ô combien approprié de cet avion – réussit à s’éjecter en parachute. Amery, Hershkowitz, Little et Manion. Runcell, Stumpfig, Svenson et Wertz. Ils se retrouvèrent dans les champs et les forêts gelés des Ardennes, choqués, épuisés, perdus. Ils ne savaient même pas s’ils étaient tombés en Allemagne, en Belgique ou en France. Mais comme ils allaient le découvrir bientôt, ils étaient tombés entre de bonnes mains.
A travers leurs propres mots, ce que représentent Alland’huy et la ferme du Chesnois est clair. “Je vis une vieille femme qui m’attendait,” écrivit plus tard Stumpfig, le mitrailleur dorsal, “et qui par de grands gestes me fit signe de me dépêcher.” “Je trouvai un groupe de Français prêts à m’accueillir,” poursuivit-il. Lorsque lui et Runcel retrouvèrent le chemin de la Grande Bretagne au mois d’avril, la BBC envoya un message codé à leurs sauveteurs : “Deux sangliers sont en sécurité.”

Wertz, le mitrailleur arrière, se souvint : “Un homme sortit de derrière le comptoir du café et m’emmena dans la maison à côté où on me donna immédiatement un lit.” Le jour suivant, dans le bureau du chef de gare, “une vingtaine de personnes se réunirent autour de moi pendant que l’on m’apporta un repas.” Lorsqu’il rentra en Grande Bretagne en ce mois d’avril, la BBC envoya à l’un de ses hôtes de la Résistance le message convenu : “Bill est en sécurité.”
Le bombardier, Manion, raconta : “On me donna de la nourriture et du café, puis on me mit dans une caisse, qui fut hissée dans un wagon de marchandises.” Plus tard, “on me donna un uniforme de cheminot et je fus conduit en bicyclette” jusqu’à la prochaine destination. Lorsqu’il fut de retour en Grande Bretagne au mois d’avril, en même temps qu’un autre membre d’équipage, la BBC émit : “Jacques et Petit Jacques vont bien.”

On fit rapidement disparaître les aviateurs américains du “Ciel Peut Attendre” vers Paris, puis vers les Pyrénées et la sécurité. Il fallut certainement beaucoup de courage à ces pilotes et à leurs équipages pour survoler l’Allemagne et en revenir sous les tirs; des dizaines de milliers d’autres aviateurs perdirent la vie dans le ciel européen. Mais le courage absolu d’hommes et de femmes – et même d’enfants – français, qui risquèrent leur vie en hébergeant de parfaits étrangers, est sans équivalent. Ils auraient pu passer leur chemin ou verrouiller leurs portes. Mais avec honneur, ténacité, intégrité et, oui, avec un remarquable courage, ils choisirent d’aider et de protéger.
Me voici donc devant vous aujourd’hui, dans ce village d’un coin tranquille des Ardennes, pour exprimer du fond du coeur les remerciements du peuple américain à ceux qui firent ce choix fatidique, ce matin d’hiver, et le payèrent de leurs vies. Le sens de leur sacrifice nous va droit au coeur aujourd’hui encore, soixante dix ans plus tard – ce n’est ni lointain, ni oublié. Cela doit tous nous inspirer, aussi bien Français qu’Américains. En leur honneur, ne nous lassons pas de répéter ces messages de la BBC : “Bill est en sécurité.” “Jacques et Petit Jacques vont bien.” “Deux sangliers sont en sécurité.”