Jalons Historiques
1767-1777 – Hôtel de Saint-Florentin
L’hôtel particulier, aujourd’hui connu sous le nom d’Hôtel de Talleyrand, fut édifié entre 1767 et 1769 pour servir de résidence privée à Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, marquis puis duc de La Vrillière (1705-1777). En tant que Secrétaire d’État à la Maison du roi, Ministre d’État, Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et ami personnel du roi, Saint-Florentin fut l’un des personnages les plus influents du règne de Louis XV.
La demeure est de style néoclassique. Les élévations de la résidence sont l’œuvre d’Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), premier architecte du roi, le concepteur de la place Louis XV (actuelle place de la Concorde), du Château de Compiègne, du Petit Trianon à Versailles et de l’École militaire. La décoration et les aménagements intérieurs ont été réalisés sous l’égide de l’architecte Jean-François-Thérèse Chalgrin (1739-1811), le futur concepteur de l’Église Saint-Sulpice, de l’Église Saint-Philippe-du-Roule, du Collège de France et de l’Arc de Triomphe. Chalgrin s’entoura d’une équipe réunissant certains des artistes les plus doués de l’époque : les sculpteurs Guillaume Coustou (fils) (1716-1777), Étienne-Pierre-Adrien Gois (1731-1823), François-Joseph Duret (1729-1816) et Denis Coulonjon, les peintres Jean-Simon Berthélemy (1743-1811) et Hubert Robert (1733-1808), et le maître ferronnier Pierre Deumier (1715-1785).
1777-1812
À la mort du comte de Saint-Florentin en 1777, la demeure passa successivement entre les mains du duc de Fitz-James, puis, à partir de 1784, de la princesse de Salm-Salm, duchesse de l’Infantado. L’Ambassade de Venise loua les lieux de 1790 à 1794. En 1794, la demeure fut réquisitionnée par le Comité de Salut Public qui y logea la Commission du Commerce, et les écuries furent utilisées pour y installer une fabrique de salpêtre et un dépôt de munitions. En 1800, la duchesse de l’Infantado vendit la demeure au marquis de Hervas.
1812-1838 – Hôtel de Talleyrand
En 1812, le marquis de Hervas, créé entre temps marquis d’Almenara, céda la résidence à celui qui allait lui donner son nouveau nom : Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Le célèbre homme d’État français, qui avait déjà acquis le Château de Valençay en 1803, fit de l’hôtel de la rue Saint-Florentin sa résidence parisienne. La demeure devint l’un des centres de la vie mondaine et politique française.
C’est entre ces murs que Talleyrand mena les négociations qui conduisirent au Traité de Fontainebleau (signé en avril 1814), puis au Traité de Paris (signé en mai 1814), en prologue au Congrès de Vienne (septembre 1814 – juin 1815). Au cours de ces réunions, afin de négocier la paix en Europe et la restauration de la monarchie en France, Talleyrand reçut le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, l’empereur François Ier d’Autriche, ainsi que le duc de Wellington, l’Ambassadeur de Grande-Bretagne.
L’hôte le plus prestigieux de Talleyrand au cours de ces négociations fut sans aucun doute le tsar Alexandre Ier de Russie, qui séjourna ici durant deux semaines (du 1er au 15 avril 1814). En effet, lors de l’entrée des troupes russes dans Paris le 31 mars, Talleyrand mit sa demeure à la disposition du tsar. En l’accueillant dans sa résidence, Talleyrand lui aurait dit : « Votre majesté remporte peut-être en ce moment son plus beau triomphe ; elle fait de la maison d’un diplomate le temple de la paix. »
Talleyrand mourut dans cette demeure le 17 mai 1838, peu après avoir reçu une dernière visite du roi Louis-Philippe. Après sa mort, ses meubles furent transportés au Château de Valençay, où ils se trouvent toujours.
Dans « Choses Vues 1830 – 1848 », Victor Hugo écrivit : « Dans ce palais, comme une araignée dans sa toile, il avait successivement attiré et pris héros, penseurs, grands hommes, conquérants, rois, princes, empereurs, Bonaparte, Sieyès, Mme de Staël, Chateaubriand, Benjamin Constant, Alexandre de Russie, Guillaume de Prusse, François d’Autriche, Louis XVIII, Louis-Philippe, toutes les mouches dorées et rayonnantes qui bourdonnent dans l’histoire de ces quarante dernières années. Tout cet étincelant essaim, fasciné par l’œil profond de cet homme, avait successivement passé sous cette porte sombre qui porte écrit sur son architecture : Hôtel Talleyrand. »
1838-1950 – Hôtel de Rothschild
En 1838, le baron James-Mayer de Rothschild acheta la demeure à la nièce de Talleyrand, la duchesse de Dino, qui venait d’en hériter. Le célèbre empire bancaire Rothschild prêtait des capitaux à la royauté et aux gouvernements en temps de guerre et de crise en Europe. En tant que chef de la branche française de la société, James-Mayer et ses descendants recevaient la meilleure société dans cette demeure et dans les autres qu’ils possédaient en France. En 1857, James-Mayer de Rothschild offrit le 2 rue Saint-Florentin à son fils, Alphonse-James de Rothschild. En 1906, Edouard-Alphonse de Rothschild, le fils de celui-ci, en hérita à son tour, et y vécut jusqu’à ce que l’occupation de la France par l’armée allemande le contraigne à quitter Paris. L’Hôtel de Talleyrand demeura ainsi la propriété de la famille Rothschild pendant plus de cent ans et trois générations. Au cours de cette longue période, d’importants travaux de construction et de décoration furent entrepris, avec en particulier l’agrandissement de la partie centrale de la demeure, de 1868 à 1871, sous la direction de l’architecte Léon Ohnet (1813-1874).
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’hôtel particulier fut tout d’abord réquisitionné par le Ministère de la Marine du gouvernement de Vichy. Puis, sous l’Occupation nazie, il abrita le quartier général de la Marine allemande (« Kriegsmarine »). Une passerelle fut alors installée au-dessus de la rue Saint-Florentin pour faciliter le passage entre l’hôtel particulier et le bâtiment principal du Ministère de la Marine.
Au cours de la Libération de Paris, c’est dans l’Hôtel de Talleyrand que, le 25 août 1944, les troupes du général Leclerc capturèrent l’état-major de la Marine allemande. Des impacts de balles, témoins des combats intenses dans le 1er arrondissement, sont encore visibles sur le mur à l’arrière du bâtiment, rue de Mondovi. Après la Libération, la demeure fut utilisée par la vice-présidence du Conseil, et abrita donc brièvement les bureaux de Maurice Thorez.
Depuis 1950 – Propriété du gouvernement des États-Unis d’Amérique
Après la Seconde Guerre mondiale, le Département d’État américain loua, de 1948 à 1950, puis acheta, le 14 novembre 1950, l’Hôtel de Talleyrand à la famille Rothschild, pour y installer le siège de l’administration américaine du Programme de rétablissement européen, plus connu sous le nom de Plan Marshall. Cette initiative fut baptisée du nom du Secrétaire d’État américain, le général George C. Marshall, qui, lors d’un discours à l’université Harvard, le 5 juin 1947, exposa la volonté du gouvernement des États-Unis de contribuer au rétablissement économique de l’Europe à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. C’est depuis cette demeure que l’Ambassadeur W. Averell Harriman, qui avait été nommé par le Président des États-Unis Harry Truman, dirigea l’administration américaine du Plan Marshall en Europe de 1948 à 1950, et réunit les négociateurs des 17 pays européens participants.
De 1981 à 1984, sous la supervision du Bureau du Fonctionnement des Bâtiments à l’Étranger (Office of Foreign Buildings Operations) du Département d’État américain et d’un spécialiste des décors historiques, Robert Carlhian, les architectes Hugh Newell Jacobsen et J. Bruce Smith réalisèrent d’importants travaux de rénovation. De 1984 à 2007, l’hôtel particulier abrita plusieurs services de l’Ambassade des États-Unis d’Amérique en France, dont les bureaux consulaires, le service des impôts, et les services d’information et de relations culturelles.
De 2000 à 2010, l’Hôtel de Talleyrand fit à nouveau l’objet d’une vaste campagne de restauration, entreprise par le Département d’État avec la collaboration du World Monuments Fund. Des spécialistes français des décors historiques des 18ème et 19ème siècles, Robert Carlhian et Fabrice Ouziel, réalisèrent d’importantes recherches historiques. La restauration, réalisée par plus de 150 artisans français, fut financée par des donations privées, venues des deux côtés de l’Atlantique. Ces travaux se sont achevés en 2010.
Aujourd’hui, les salons diplomatiques, constituant le Centre George C. Marshall, ont été restaurés pour créer un espace de conférences, de réunions et de réceptions. L’Hôtel de Talleyrand est également loué par les bureaux parisiens de Jones Day, un cabinet d’avocats américain.